Naples Noël 2021 San Gregorio Armeno, la rue des crèches

Noël Napolitain: une fête à fleur d’âmes – Article de Maria Franchini*

Visites guidées du centre historique de Naples
Via San Gregorio Armeno – la ruelle des Santons pièce unique – typiquement Napolitains
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Musée de la Certosa di San Martino (où un secteur entier leur est consacré), dans le monastère de Santa Chiara et dans le Palais royal de Caserte. Cela étant, dans la rue San Gregorio Armeno et alentours, certaines boutiques exposent leurs œuvres toute l’année.

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Depuis début décembre, Naples attire des foules de touristes, au nez et à la barbe des alertes au voleur claironnées par des journaleux en mal de sensationnalisme ou d’audimat. Ils sont si nombreux ces visiteurs que l’on a dû instaurer un sens unique pour piétons dans la rue San Gregorio Armeno, cœur du centre historique et de l’art presepiale

San Gregorio Armeno, la rue des crèches

Las des chaînes de magasins tapageurs ou homologués, ils viennent se ressourcer dans le giron de cette “Pompéi à ciel ouvert” (Malaparte), dans ce coin du monde qui, sans renier la modernité, perpétue son passé plus que parfait, dans cette cité fourmillante, effervescente où l’on ne court pas, et, si l’on court, c’est au secours de l’autre. Ils viennent humer cet air de vraie fête, toucher de près les racines de ce peuple, mises à nu plus que jamais ces jours-ci, s’amuser des mille trouvailles, s’émerveiller devant ces incroyables mises en scène en liège, peuplées de personnages d’argile, porteurs de messages hors du temps.

Les Zampognari

A Naples, les bells ne gingle pas, ce sont les notes douces et plaintives des zampogne et des ciaramelle [2] (même enregistrées) qui pénètrent les âmes; à Naples, les emplettes ne ressemblent pas aux publicités télévisées, elles gardent leurs couleurs éternelles qui sentent bon le repas rituel, lui aussi immuable et toujours choral ; à Naples, les passants ne se dépêchent pas de s’enfermer chez eux, l’air résonne d’auguri flâneurs lancés de loin à une connaissance, chuchotés dans une église près d’une crèche flamboyante ou prononcés dans le creux d’une accolade; à Naples, les familles ne se replient pas sur elles-mêmes, elles ouvrent leur porte et rajoutent des places autour de la table, la solitude étant inacceptable en ce jour de partage. Et que l’on ne se trompe pas: il ne s’agit pas d’accomplir une bonne action pour gagner le paradis. Le bigotisme n’est pas napolitain. C’est qu’à Naples la solitude on la choisit, on ne la subit pas.

Les préparatifs de Noël démarrent officiellement le 8 décembre, jour de l’Immacolata.

Dans l’immense majorité des foyers, on installe une crèche et un sapin. Ce dernier (tout comme le Père Noël), d’importation américaine, n’a fait son apparition que dans les années 50. Moins coûteux qu’une crèche, et demandant surtout moins de compétences, cet arbre clinquant n’a pas réussi à détrôner l’essence même du Noël napolitain, sa majesté la crèche, aux très longues et solides racines, contrairement au pauvre sapin déraciné, confiné désormais à un rôle purement décoratif.

Sa majesté la crèche

Arte presepiale Antonio Cantone et Maria Costabile

Le 8 décembre, disais-je, on sort le gros carton contenant lo scoglio, le paysage en liège tridimensionnel, ainsi que les boîtes où l’on avait rangé les santons et autres accessoires des années précédentes.
Dans mes souvenirs de jeunesse, je les vois un par un ces fragiles personnages, immanquablement mutilés par le temps. On leur recollait alors un bras, un pied, parfois la tête, avec une colle que l’on faisait réchauffer et qui répandait une mauvaise odeur de poisson, mais si prometteuse de réjouissances. Certains, rafistolés mille fois, irrécupérables, finissaient à la poubelle, tout mouillés de mes larmes d’enfant, ces larmes vite séchées par la joie d’aller en acheter des nouveaux, d’une couleur un peu différente peut-être, mais strictement conformes au sens qu’ils devaient exprimer.

Car chaque figurine, chaque accessoire raconte un mythe, une légende, un symbole inscrit dans un livre magique où la foi catholique la plus sincère cohabite avec le paganisme le plus éhonté: Les zampognari(comme ceux, en chair et en os, qui jouent dans les rues) sont à placer de chaque côté de la grotte, un jeune (le soleil naissant) et un plus âgé (le soleil mourant) et se rattachent au culte du dieu Pan qui, lors du solstice d’hiver, jouait de cette cornemuse (la zampogna) pour inciter le soleil à renaître. La fontaine et la femme, la première, lieu d’annonces heureuses comme celle de la naissance du Christ à Marie (la femme), côtoient le puits et le pont. Tous deux, liens entre le monde des vivants et celui des ténèbres, deviennent inquiétants la nuit de Noël. Car en ce temps suspendu entre le Bien et le Mal, les esprits maléfiques ont voie libre jusqu’à la naissance de l’Enfant porteur de Lumière. De même l’auberge, lieu de passage par excellence, devient théâtre de crimes effroyables dans tous les contes de Noël, avant qu’un Saint ou Jésus viennent apporter le salut. Dans la crèche napolitaine, l’auberge croule sous les victuailles, promesse d’abondance et de bonheur. Le diable en personne rôde autour des maisons en attendant d’être chassé par la naissance divine; aujourd’hui disparu de la crèche, on l’y voyait encore jusqu’à l’avant-guerre. Les douze vendeurs, eux, incarnent chacun un mois de l’année selon le produit qu’ils proposent. Le marchand de vin conduisant une charrette pleine de tonneaux est à part, on l’appelle“Ciccibacco”, un nom qui n’est pas sans rappeler un certain Bacchus. Les lavandières incarnent la purification et elles étendent le linge du nouveau-né Jésus; le pêcheur et le chasseur, incontournables, représentent les deux activités ancestrales de survie ; “Benino” ou il pastore della meraviglia, endormi sur la colline puis, bouche bée et bras ouverts près de la grotte, n’est rien d’autre que l’homme réveillé et ébloui par la révélation divine. Puis, la gitane, la rivière, le moulin, les Mages…La place manque pour tout expliquer.

L’adoration des Mages, détail d’une prodigieuse Crèche napolitaine du XVIIIe siècle

Le paysage mérite quelques mots: il est montagneux, parsemé de santons descendant des chemins tortueux (les difficultés de la vie) vers la grotte où ils trouveront la lumière. Sur les hauteurs, on y représente même le palais d’Hérode avec ses soldats prêts à commettre le massacre des enfants. A cette foule hétéroclite, les artisans d’arte presepiale ajoutent des outsiders, expression de l’ironie napolitaine, à savoir, des célébrités ayant marqué l’actualité de l’année en cours, comme ce fut le cas du pape Benoît XVI la valise à la main, ou de Berlusconi, l’œil au beurre noir (lorsqu’un opposant le frappa).
Le mieux est d’aller admirer ces crèches sur place. Même hors période de Noël. Certaines, parmi les plus belles et originales, sont exposées dans le Musée de la Certosa di San Martino (où un secteur entier leur est consacré), dans le monastère de Santa Chiara et dans le Palais royal de Caserte. Cela étant, dans la rue San Gregorio Armeno et alentours, certaines boutiques exposent leurs œuvres toute l’année.

Côté réveillon

Il Capitone, une grosse anguille

J’ai parlé plus haut de banquet rituel, et n’ai pas abusé de cet adjectif, en ce sens qu’en préparant ce repas, qui exclut rigoureusement la viande, on détruit rituellement le diable par deux fois. On le tue sous ses apparences de serpent en le découpant en morceaux jetés ensuite dans de l’huile brûlante. Le serpent en question est en l’occurrence le capitone, une grosse anguille femelle que l’on ne consomme qu’à Noël. Puis, on accomplit le même rite en préparant les struffoli, un des desserts incontournables de cette festivité, qu’amis et voisins s’échangent pour les vœux.

Les Struffoli

En effet, pour obtenir ces petites boules de pâte sucrée, on doit former avec la préparation un long boudin, soit un serpent, et le découper en tout petits morceaux jetés eux aussi dans de l’huile très chaude. La symbologie des struffoli ne s’arrête pas à la destruction de Satan: les nombreuses boules dorées appellent l’abondance et la richesse, le miel qui les lie est de bon augure, les minuscules confiseries bariolées, les diavullilli, dont on les parsème, conjurent le mal en restant prisonnières du liant divin (le miel); les dragées rondes argentées attirent les pouvoirs bénéfiques de la lune/Diane; les autres confiseries longues et candides sont d’heureux auspices de paix; enfin les fruits confits appellent de riches récoltes.

Le 7 janvier, au lendemain de la célébration de l’arrivée des Rois, tout signe de Noël disparaît (encore une démonstration du sens sacré de cette fête dont on ne galvaude pas les symboles). Le 6 janvier est donc la dernière grande fête, celle de l’Epiphanie, mieux connue en Italie comme jour de la Befana, une vieille femme en haillons qui vole à l’aide d’un balai magique pour apporter des cadeaux dans les maisons. Jusqu’aux années 60, lorsque le Père Noël n’avait pas encore envahi le marché, c’était la Befana qui remplissait les chaussettes que les enfants accrochaient à une corde près de la fenêtre. Contrairement à Santa Claus (alias Père Noël) qui est d’origine chrétienne (dérivé de Saint Nicolas de Bari assaisonné de légendes nordiques), la Befana puise ses racines dans un mythe païen, selon lequel des divinités féminines volaient en début d’année au-dessus des champs pour les fertiliser. A cette croyance vient s’en greffer une autre, celle de Dame Nature qui, devenue vieille et laide à force de fertiliser la terre, distribue ses derniers cadeaux, avant de céder le pas à une jeune et belle remplaçante.

Maria Franchini*
auteur des livres
« Naples insolite et secrète » – « Campanie insolite et secrète » – Editeur Jonglez

source article https://altritaliani.net

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